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Jon Fosse : « Ce qui me vient semble déjà écrit quelque part à l’intérieur de moi »

Retrouvez tous les épisodes de la série « Des écrivains parlent travail » ici.
A Vienne, depuis toujours, chaque écrivain a sa Kaffeehaus. Arthur Schnitzler (1862-1931) et Robert Musil (1880-1942) fréquentaient le Café Central, tandis que Thomas Bernhard (1931-1989) préférait le Bräunerhof. L’auteur norvégien Jon Fosse, lui, a ses habitudes au Prückel, sur le Ring. C’est là qu’il donne ses rendez-vous lorsqu’il est en Autriche.
En ce matin de juin, le voici attablé en terrasse devant un Melange, l’un de ces cafés au lait typiquement viennois. On le reconnaît de loin avec sa queue-de-cheval grise, ses lunettes rondes et sa carrure de bûcheron scandinave. Perdu dans ses pensées, il fixe un point lointain, quand, soudain, s’avisant de notre présence : « Ah, c’est vous ? » On pense à sa célèbre pièce de théâtre Rêve d’automne (L’Arche, 2005, mise en scène par Patrice Chéreau), l’une de celles qui – après Quelqu’un va venir (L’Arche, 1999, montée par Claude Régy) – l’ont rendu célèbre en France et en Europe. La pièce commence justement comme cela. L’Homme remarque, surpris : « Ah, c’est toi. » Et la Femme : « On dirait. Oui. »
Dramaturge, auteur d’une douzaine de pièces − dont Et jamais nous ne serons séparés (2000), Je suis le vent et Les jours s’en vont (2010), Vent fort (2024), toutes publiées à L’Arche −, Jon Fosse est aussi romancier. On lui doit notamment Melancholia I et II, respectivement chez P.O.L (1998) et Circé (2002). Et on a pu découvrir en France sa monumentale Septologie, une fresque en sept volets réunis en trois volumes – les deux premiers, L’Autre Nom (2021) et Je est un autre (2024), ont paru aux éditions Christian Bourgois, tandis que le dernier, Un nouveau nom, est annoncé pour 2025. Fosse y décrit la vie d’Asle, un peintre qui connaît le succès sur le tard, et celle d’un autre Asle, dont le premier prend soin, et qui a sombré dans l’alcool. En filigrane, l’écrivain pose deux questions : pourquoi sommes-nous qui nous sommes ? Et pourquoi menons-nous notre vie et pas celle d’un autre ?
A 64 ans, Jon Fosse, qui est traduit dans une quarantaine de langues, est l’auteur norvégien le plus joué depuis Ibsen (1828-1906). Il s’est vu décerner le prix Nobel de littérature en 2023. Le jour de notre rendez-vous, il arrivait par le train d’Hainburg an der Donau (Autriche), où il réside une partie du temps. Avec une patiente bienveillance, il s’est plié à cet exercice paradoxal : poser des mots sur une œuvre entièrement tendue vers le silence et l’indicible.
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